L'avortement sécurisé et les soins post-avortement sont des services de santé essentiels. Mais jusqu'à la publication en 2022 des nouvelles lignes directrices de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur la définition de l'avortement sécurisé était étroite. Dans les précédentes directives de l'OMS, la sécurité médicale était le principe directeur de l'avortement sécurisé. La sécurité, selon l'OMS, faisait référence à un avortement effectué selon les méthodes recommandées, par une personne ayant les compétences requises ou dans un environnement conforme aux normes médicales minimales, ou les deux.
Toutefois, les recherches montrent que de nombreuses filles et jeunes femmes ne recherchent pas la sécurité médicale lorsqu'elles cherchent à se faire avorter. Elles privilégient la protection sociale. Et cela, indépendamment du fait qu'elles vivent dans des contextes où les législations sont restrictives ou libérales. La priorité des femmes est d'éviter les poursuites judiciaries et la stigmatisation sociale.
Leur besoin de discrétion est l'une des raisons pour lesquelles les femmes et les jeunes filles continuent à utiliser des méthodes d'avortement à risque.
Les dernières lignes directrices adoptent une approche plus holistique. Elles vont au-delà de l'accent mis sur la sécurité médicale pour promouvoir la qualité des soins en matière d'avortement. Ces directives respectent le droit à la non-discrimination et l'égalité d'accès aux services d'avortement. Mais ce changement fera-t-il une différence pour les filles et les jeunes femmes vivant dans des zones rurales ou dans des pays où la législation sur l'avortement est restrictive, et où la protection sociale reste un impératif ?
La protection sociale va au-delà de la santé physique. Elle inclut le bien-être émotionnel et économique des femmes, leur statut social, leur réputation et leurs relations. Dans le cadre de l'avortement, cela signifie pouvoir trouver un prestataire de soins abordables, dissimuler l'avortement et être protégées des agents chargés d'appliquer la loi.
Nous avons mené une étude au Kenya et au Bénin pour en savoir plus sur ce qui permet aux filles et aux jeunes femmes de se sentir en sécurité (ou non) lorsqu'elles souhaitent avorter. Dans les deux pays concernés, le taux de grossesses non désirées et d'avortements non médicalisés est élevé. Et l'avortement est socialement mal vu.
L'étude a révélé que dans ces contextes, la sécurité sociale n'est atteinte que lorsque l'avortement est pratiqué de manière discrète.
La protection sociale
Nous avons mené une étude ethnographique sur une période de six mois en milieu urbain et rural dans le comté de Kilifi (Kenya) et le département de l'Atlantique (Bénin). Nous avons observé des filles et des jeunes femmes recrutées dans des établissements de santé et dans les communautés environnantes. Nous avons également mené des discussions informelles et des entretiens approfondis.
Notre étude a montré que les femmes connaissaient les méthodes d'avortement sécurisées telles que l'avortement médicamenteux et l'avortement chirurgical dans les structures de santé.
Mais pour les filles et les femmes qui souhaitaient avorter, les structures de santé n'étaient pas le premier choix. La raison étant que la discrétion n'était pas garantie. Les soins étaient proposés à la maternité ou dans le service des urgences, sans espace privé pour les procédures. En outre, les femmes et les filles craignaient d'être dénoncées par les prestataires ou de tomber sur leurs voisins dans l'établissement. Elles étaient également confrontées à des des violences psychologiques ou physiques de la part de soignants moralisateurs.
À la place, les filles et les femmes de notre étude commençaient leur parcours d'avortement en tentant des méthodes alternatives disponibles localement, peu coûteuses et utilisées pour traiter d'autres affections. Il s'agit notamment de concoctions à base de plantes et de fortes doses d'antipaludéens, d'analgésiques ou d'antibiotiques. Cela leur permettait de dissimuler leur avortement - mais seulement de manière temporaire. La plupart des cas évoluaient vers des complications nécessitant un traitement urgent, voire entrainant la mort. Au Bénin, une étude a montré que près de la moitié des cas de femmes traitées pour des soins post-avortement étaient liés à des complications d'avortements à risque. Au Kenya, près de 30% des avortements provoqués ont abouti à des complications traitées dans les structures de santé..
Là où la conception de la sécurité chez les femmes qui veulent avorter est en conflit avec la définition de la santé publique, la solution peut, dans certains contextes, être trouvée dans l'auto-prise en charge.
L'auto-prise en charge pour la protection sociale
Ces dernières années, et surtout depuis la pandémie de la COVID-19, le concept d'auto-prise en charge a été mis en avant dans le domaine de la santé publique. L'OMS définit l'auto-prise en charge comme :
« la capacité des individus, des familles et des communautés à promouvoir la santé, prévenir la maladie, rester en bonne santé et faire face à la maladie et au handicap avec ou sans l’aide d’un agent de santé »
L'auto-prise en charge de l'avortement implique une capacité à gérer soi-même son avortement autant qu'on le souhaite. Cela inclut l'accès à l'information et aux pilules abortives sans ordonnance. Elle implique également l'utilisation de plateformes numériques pour faciliter l'accès et l'utilisation des pilules abortives.
Des recherches ont montré un taux de réussite de l'auto-prise en charge de l'avortement de plus de 93 % dans les pays ayant un système libéral et à revenu élevé.
L'auto-prise en charge de l'avortement permet aux femmes et aux filles d'être plus discrètes lorsqu'elles se font avorter et renforce leur autonomie et leur contrôle. En théorie, l'auto-prise en charge de l'avortement pourrait donc offrir une protection sociale. Elle permet la discrétion, et pourrait empêcher l'interaction avec des prestataires peu sympathiques, ou le manque d'intimité et le risque d'arrestation dans les structures de santé.
Dans la pratique, cependant, il est très difficile d'imaginer comment les femmes et les familles qui n'ont peut-être pas leur propre téléphone portable ni un smartphone ni internet ni de l'argent nécessaire pour utiliser ces appareils peuvent avoir accès à l'auto-prise en charge.
Les inégalités en matière d'accès numérique, de genre, de classe sociale et d'alphabétisation empêchent de nombreuses femmes et filles pauvres d'accéder à l'auto-prise en charge de l'avortement. Pour elles, l'auto-prise en charge de l'avortement n'est pas encore la solution. La protection sociale autour de l'avortement ne pourrait être obtenue que par des méthodes d'avortement à domicile qui peuvent entraîner de graves complications. Il convient donc de poursuivre les efforts visant à accroître l'accessibilité à l'avortement sans risque.
L'une des voies possibles pourrait consister à investir dans des services d'avortement discret centrés sur l'utilisateur, par exemple par le biais intermédiaires de la la santé. Toutefois, il demeure nécessaire de s'attaquer aux préjugés des prestataires et aux attitudes de la communauté, et de faire en sorte que les autorités et les agents chargés de l'application de la loi comprennent mieux les lois existantes et les améliorent au besoin.
Les résultats de notre étude ont montré que les partenaires, les parents et les champions communautaires peuvent également servir d'intermédiaires. Par conséquent, une autre voie pourrait être celle des interventions transformatrices du genre. Celles-ci permettrait d’impliquer les partenaires masculins et autres membres de la famille dans les interventions d'auto-prise en charge de l'avortement. Les hommes sont souvent impliqués dans les parcours d'avortement et ont souvent un meilleur accès aux technologies numériques. Pour autant qu'ils soient bien informés, ils pourraient soutenir les femmes en quête d'auto-prise en charge.
Ramatou Ouedraogo est affiliée au Centre africain de recherche sur la population et la santé (APHRC). L'étude mentionnée dans cet article a été réalisée en collaboration avec Rutgers.
Grace Kimemia est affilié est affiliée au Centre africain de recherche sur la population et la santé (APHRC).. L'étude mentionnée dans cet article a été réalisée en collaboration avec Rutgers.
Jonna Both est affiliée à Rutgers qui a pour but d'améliorer la santé et les droits sexuels et reproductifs des jeunes aux Pays-Bas et dans le monde. Il s'agit notamment de réduire considérablement le nombre d'avortements non médicalisés dans le monde. Rutgers reçoit des fonds du ministère néerlandais des Affaires étrangères et de la National Postcode Lottery (NPL), entre autres.
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.