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Jonathan Powell, Associate professor, University of Central Florida

Coup d'Etat au Burkina : une fois de plus, la force des armes s'impose à celle des urnes

L'ancien président Roch Marc Christian Kaboré a été mis aux arrêts. Koch / MSC/Wikimedia Commons

Lorsqu'on a appris que des soldats s'étaient mutinés au Burkina Faso, il n’y a pas vraiment eu d’effet de surprise. L'histoire de ce pays a été marquée non seulement par des mutineries dans l'armée, mais également par des coups d'État militaires.

Plus tôt cette année, une tentative a été déjouée, mais il était clair, à ce moment-là, que ce n'était peut-être qu'une question de temps avant une autre tentative.

Les événements récents dans la région ont, en outre, envoyé un signal fort. Au cours des deux dernières années, des coups d'État ont été perpétrés en Guinée et au Tchad, plusieurs coups d'État ont eu lieu au Mali, et une tentative a échoué l'an dernier au Niger voisin.

En ce qui concerne les tentatives de coup d'État, le Burkina Faso était la pièce manquante sur la carte des coups d’État organisés dans la zone allant de l'Atlantique à la mer Rouge.

Que cette région soit en proie aux coups d'État pourrait sembler normal pour certains, la note moyenne des pays de cette zone dans l’Indice des États fragiles étant de 98, bien pire que les pays qui ont connu récemment des coups d'État comme la Birmanie ou la Libye, un soit-disant «État défaillant. D'où leur place plus proche du Yémen et de la Syrie, qui occupent le bas du classement, que de pays comme le Sénégal ou le Ghana.

Par rapport à d'autres régions, le Sahel fait face à des défis extraordinaires, néanmoins ce nombre élevé de coup d'État en si peu de temps est étonnant.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a récemment déploré ce qu'il a appelé une « épidémie de coups d'État », tout en reconnaissant qu’une « dissuasion efficace n’existe pas ». Selon lui, les réactions aux coups ont été limitées, parce que les potentielles autorités anti-putsch étaient aux prises avec leurs propres problèmes pendant la pandémie, ce qui a créé

un environnement dans lequel certains chefs militaires ont un sentiment d'impunité totale : ils peuvent faire ce qu'ils veulent car il ne leur arrivera rien.

Déclin des contrepoids contre les coups d'État

Selon diverses estimations, l'Afrique, l'Afrique postcoloniale a connu plus de 200 tentatives de coup d'État, dont la moitié environ a abouti à la destitution du dirigeant. De plus, même si ce phénomène représentant une menace n’a pas totalement disparu ces dernières années, sa mise en pratique avait considérablement diminué.

Screenshot at AM.

Depuis 1999, jamais une année civile n'avait connu autant de coups d'État couronnés de succès et, depuis 1980, aucune année n’en avait enregistré plus. Même si l'année 2021 a paru exceptionnelle, le coup d'État au Burkina Faso ne semble pas être le fruit du hasard non plus.

Bien qu’un grand nombre de ces pays aient en commun des environnements politiques nationaux fragiles, beaucoup d’observateurs se sont exprimés sur l'effritement d'une supposée norme anti-coup, présentée comme étant au moins à l'origine de la baisse des coup d'État.

Dans le passé, les régimes post-coup d'État ont fait l’objet de suspensions maintenues jusqu'au retrait complet du pouvoir des principaux putschistes : dans le cas de Madagascar, cela a duré près de cinq ans. Ces mesures ont fait place à une nouvelle donne: la réintégration des membres suspendus au sein de l'Union africaine et l'abandon des sanctions tant que des élections sont organisées, même si les putschistes y participent. Non seulement d’anciens putschistes comme Abdel Fattah el-Sisi et Mohammed Ould Abdel Aziz ont été réintégrés, mais ils ont même été choisis pour présider l'organisation.

Plus récemment, l’Union africaine a tout simplement choisi d'ignorer les coups d'État en 2017 au Zimbabwe et en 2021 au Tchad.

Le comportement des puissances mondiales n'a pas non plus été dissuasif. La Chine, notamment, a adopté une approche « sans conditions » pour ses prêts et son assistance, considérant les coups d'État occasionnels un peu comme étant « le prix à payer pour faire des affaires » dans la région. Bien que les États-Unis aient régulièrement suspendu leur aide à la suite de coups d'État, tout comme l'UA, ils ont été heureux de mettre fin à ces suspensions sous réserve de voir les putschistes se soumettre au vote.

Les putschistes soudanais, par exemple, prévoyaient peut-être une évolution semblable à celle de l'Égypte selon laquelle toute suspension de son programme d'aide de 700 millions de dollars serait temporaire. Dans le cas de l'aide militaire, même si les États-Unis ou d'autres acteurs occidentaux réagissent avec sévérité, des alternatives sont de plus en plus souvent proposées.

Autrement dit, la leçon tirée des coups d'État est que les coûts à payer, quels qu’ils soient, sont éphémères.

En plus de l'évolution du contexte international, il semble qu’un changement d'attitude est perceptible chez les personnes vivant dans les pays qui subissent des coups d'État. Les citoyens vivant dans des endroits comme le Burkina Faso se sont, par le passé, mobilisés pour contrecarrer les coups d'État. Plus récemment, les populations semblent de plus en plus disposés à tolérer les coups d'État.

Le Mali voisin a vu sa population protester contre les sanctions post-coup d'État de la CEDEAO, tandis qu'un récent sondage indique que que plus de 90 % des personnes interrogées à Bamako soutiennent le régime militaire. Les données les plus récentes d’Afrobaromètre – un réseau de recherche indépendant qui mesure les attitudes du public sur les questions économiques, politiques et sociales en Afrique – ont estimé le soutien national au régime militaire au Mali à environ 31 %.

Comparativement, 50 % des répondants burkinabè ont soit approuvé soit fortement approuvé le régime militaire dans le même échantillon, soit une hausse de 10 % par rapport à la décennie précédente.

La politique par les armes

A chaque fois qu'un coup d'État ne fait pas l'objet de réaction vigoureuse – de l’intérieur et de l’extérieur – les putschistes en puissance se sentent enhardis.

La normalisation des coups d'État ne signifie pas seulement une hausse des transferts « irréguliers » de pouvoirs, elle renvoie aussi à une plus grande acceptation de la politique par le recours aux armes. La tentative d'assassinat du président Roch Kaboré pourrait également être le signe d’un retour à une époque antérieure de coups d'État. En effet, il existe une tendance souvent négligée liée au déclin des coups d'État : ils sont devenus beaucoup moins susceptibles d'être associés à des assassinats politiques.

Capture d'écran à AM.

À l’époque où le président Ibrahim Baré Mainassara a été tué lors d'un coup d'État perpétré au Niger en avril 1999, 14 des 82 dirigeants africains évincés avaient été éliminés pendant ou à la suite de ces tentatives de putsch.

Après le coup d'État d'avril 1999 au Niger, une période qui a coïncidé avec l’établissement par le continent d'une norme anti-coup d'État, aucun dirigeant n'a été tué au cours des 24 derniers coups d'État réussis. Il est vrai que cette série résulte, au moins en partie, d'une étrange définition de la notion de coup État puisque puisque le meurtre du président bissau-guinéen, João Bernardo Vieira, est généralement considéré comme un simple « assassinat ».

Toutefois, par rapport aux époques antérieures, les coups d'État des 20 dernières années ont été relativement moins violents. Il faut noter que les putschistes reconnaissent qu'ils utilisent la violence, même si le degré de violence qui leur est associé a considérablement diminué au fil du temps, et ce n'est pas une coïncidence. Des leaders, tels que Sylvanus Olympio mort en 1963 et Thomas Sankara en 1987, n'ont pas été tués par accident, ce sont des victimes de meurtres dont la mort avait pour but de faciliter le succès d'un coup d'État et d'éliminer une future menace politique.

La normalisation des armées en tant qu'acteurs politiques implique inévitablement l’utilisation de la boîte à outil militaire en politique.

Étant donné le soutien grandissant en faveur de l'intervention de l'armée et le peu d'intérêt pour la prévention des putsch, ceux qui se méfient du retour aux armes contre les urnes vivent des moments difficiles.

The Conversation

Jonathan Powell does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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