Huit ans se sont écoulés depuis que l’armée française a lancé ses opérations au Mali à la demande du gouvernement intérimaire malien de l'époque.
Ce pays traversait alors une crise politique et humanitaire qui a mis en lumière les griefs persistants de certaines parties des populations du nord.
L'objectif immédiat de la mission était d'empêcher les groupes séparatistes et criminels d'avancer vers la capitale du Mali, Bamako, et de sauvegarder la souveraineté du pays, le temps qu'une force internationale de maintien de la paix devienne opérationnelle.
L'opération Serval s'est rapidement transformée en une opération régionale de lutte contre le terrorisme, baptisée Barkhane.
Après que le conflit s'est prolongé pendant des années, en juin 2021, un deuxième coup d'État en l'espace d'un an a conduit à la démission du président, Bah Ndaw, et du premier ministre, Moctar Ouane. Le colonel Assimi Goita, qui avait pris la tête du coup d'État d'août 2020, a été déclaré président par intérim.
Le président français, Emmanuel Macron, a annoncé un retrait progressif des troupes de l'opération Barkhane. Déjà, avant le coup d'État, le sentiment anti-français au Mali avait pris de l’ampleur et l'opinion publique française avait désapprouvé l'opération militaire.
Quelques années plus tard en début de l'année 2022, une semaine l'invasion militaire russe en Ukraine. La France et ses alliés africains et européens ont confirmé qu'ils allaient retirer les 2 400 soldats français du territoire malien tout en maintenant sur place une force européenne plus réduite.
Ils ont déclaré qu'ils allaient « poursuivre leur action conjointe contre le terrorisme dans la région du Sahel ».
Ce retrait devait durer quatre à six mois avant que le centre des opérations françaises en Afrique de l'Ouest ne soit délocalisé du Mali au Niger.
L'impact total du retrait français est difficile à estimer à ce stade ; cela dépendra de la capacité des acteurs régionaux et internationaux à combler le vide sécuritaire.
Les groupes djihadistes pourraient se sentir encouragés, comme certains le prétendent ou, au contraire, pourraient reprendre les pourparlers avec le gouvernement de transition, puisque l'« occupant » est parti.
En tant qu'observateurs de la politique sécuritaire française et européenne en Afrique, nous nous attendons à ce que cette dernière mesure provoque des transformations fondamentales dans la région sur le plan de la sécurité.
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Au-delà des incertitudes, le retrait de la France aura des effets assez prévisibles, à savoir l'émergence d'un nouveau vide sécuritaire, d'un sentiment de désaffection plus profond entre la junte et les partenaires européens, et de nouveaux obstacles aux efforts de développement et d'aide humanitaire.
Un nouveau vide sécuritaire
Le retrait français signifie une perte de capacités militaires – en particulier d'hélicoptères de combat et d'hôpitaux de campagne.
Les casques bleus, les soldats de maintien de la paix de l'ONU et de l'Afrique, ainsi que les partenaires européens comptaient sur ces capacités pour protéger leurs troupes au Mali. Pour continuer les opérations de maintien de la paix, d'autres alliées devraient compenser ce manque.
L'opération française Barkhane et la Task Force multinationale Takuba sont les plus directement engagées dans la lutte contre les organisations terroristes djihadistes au Mali.
Le mandat de la mission de l'ONU, la Minusma, se limite à la mise en œuvre des accords de paix d'Alger de 2015, sur le conflit entre le gouvernement malien et les groupes rebelles basés dans le nord de ce pays, et à la protection des civils.
Le retrait français aura probablement un impact sur la Minusma qui a déjà subi plus de pertes que toute autre mission de maintien de la paix en cours dans le monde.
Les experts soulignent en particulier la puissance aérienne de la France, l'un des systèmes de contrôle les plus efficaces pour contrer les groupes djihadistes.
La junte militaire et une partie de la population comptent sur les mercenaires russes pour assurer la sécurité du gouvernement. La capacité du groupe mercenaire Wagner à « compenser » le retrait français et à renforcer les efforts du pouvoir central en matière de contre le terorisme est discutable. En effet, ce groupe a l'habitude d'exploiter l'instabilité politique pour ses propres intérêts économiques.
Une telle coopération a également des conséquences politiques et diplomatiques en raison de la condamnation internationale de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Les mandats européens remis en question
Avant même que la France n'annonce son retrait, l'approche stratégique de l'Europe au Sahel montrait des signes de défaillance. L'armée malienne s’est abstenue de faire des réformes significatives dans le secteur de la sécurité. La coopération internationale n'a pas réussi à renforcer le contrôle civil, et n'a pas pu empêcher les coups d'État en 2020 et 2021.
La junte militaire malienne a reporté les élections à 2025 et des mercenaires russes sont arrivés au Mali. Ces événements ont amené les gouvernements européens à douter de l’opportunité et de la façon de poursuivre leur engagement au Sahel.
La Suède a annoncé son retrait immédiat de la Task Force Takuba et de la Minusma d'ici 2023. La nouvelle ministre allemande de la défense, Christine Lambrecht, a déclaré qu'il est difficile d'imaginer les forces armées allemandes demeurer dans un pays où le gouvernement donne l'impression qu'elles ne sont pas pas les bienvenues.
Le développement sans la sécurité ?
L'invasion russe en Ukraine pourrait compliquer la situation, les pays européens étant susceptibles de réorienter leur attention et leurs ressources vers les engagements de l'OTAN.
D'un point de vue logistique et politique, le maintien d’une présence militaire au Mali pourrait devenir difficile, mais un retrait total des militaires – notamment les contributions des troupes européennes à la Minusma incluses – serait prématuré.
Cela pourrait également avoir des implications sur l'engagement des pays européens en matière de développement et d'aide humanitaire. Une détérioration de la situation sécuritaire pourrait anéantir les efforts de stabilisation.
Des décisions difficiles à prendre
Le changement du paysage sécuritaire sahélien après le retrait français offre également l’occasion de réfléchir aux différents types d'engagement international au Mali. Il faut une stratégie militaire bien coordonée avec des acteurs régionaux, comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union africaine.
Les acteurs européens, en particulier, ne devraient pas refaire l’erreur de mettre la CEDEAO à l’écart comme cela a été le cas après 2013. Promouvoir le G5 Sahel comme principal acteur de la sécurité régionale s'est révélé insuffisant, car cette organisation peine encore à trouver sa place dans la région et dépend fortement de l'aide française.
En lieu et place d'une approche fortement militarisée, une approche centrée sur l'humain s'impose, car elle mettrait la sécurité humaine au premier plan, favoriserait la société civile et renforcerait les institutions de gouvernance décentralisées.
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La junte militaire malienne peut considérer le retrait français comme un premier succès. Ce retrait pourrait être accueilli favorablement par les Maliens qui ont été frustrés par le manque d'amélioration de la sécurité au fil des ans.
Cependant, les défis du Mali en matière de sécurité et de développement persistent. La junte militaire doit décider, soit d’opter pour un isolement international, soit d’œuvrer pour la paix, le développement et de meilleures conditions de vie pour tous les Maliens.
Si elle choisit la deuxième option, elle aura besoin du soutien des partenaires régionaux et internationaux.
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This article was originally published on The Conversation. Read the original article.