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Canada’s surprising relationship to the Universal Declaration of Human Rights

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Extrait d’archive – John Peters Humphrey
Je suppose que la décision la plus importante que j’ai prise était d’inclure les droits économiques et sociaux dans le brouillon de la Déclaration. Vous savez, en 1948, les droits sociaux et économiques étaient considérés comme du pur socialisme.

Angela Misri: Il s’agit de la voix de John Peters Humphrey, un avocat canadien. En 1947, Humphrey travaille sur la première ébauche de la Déclaration universelle des droits de l’Homme avec les autres membres de la Commission des droits de l’homme. Le 10 décembre 1948, elle est adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies à Paris. 75 années se sont écoulées depuis ce moment décisif, où tous les dirigeants mondiaux se sont engagés à tout faire en leur pouvoir pour empêcher que ne se reproduisent à nouveau les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. La Déclaration comporte 30 articles déclarant que chacun a des droits égaux, que chacun a droit à la vie, à la liberté, à la liberté de circulation et à la liberté d’expression. Alors qu’il y a beaucoup à célébrer en cet anniversaire, il s’agit aussi d’une occasion d’entamer une réflexion sur l’état actuel des droits de la personne… autant autour du monde que d’ici.

Bienvenue à notre deuxième saison de Voyages dans l’histoire canadienne, un balado qui retrace les grands jalons de l’histoire canadienne. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et est créé par The Walrus Lab. Je m’appelle Angela Misri.

Dans l’épisode d’aujourd’hui, l’historienne des droits de la personne, Dre Jennifer Tunnicliffe nous aidera à comprendre davantage les impacts de la Déclaration, qui a été traduite dans plus de 500 langues et a inspiré plus de 70 traités sur les droits de l’homme aux niveaux mondial et régional. Mais, tout d’abord, un leader autochtone et défenseur du territoire nous partagera sa réflexion sur l’approche des droits de la personne du Canada.

Chief Na’Moks: Je suis le chef héréditaire Na’Moks de la nation Wet’suwet’en. Je suis un chef héréditaire et non un chef élu. Le nom que je porte est vieux de plusieurs milliers d’années et il coule dans nos veines depuis. Et nous veillons sur 22 000 kilomètres carrés de territoire non cédé et non défendu.

Angela Misri: En novembre dernier, le chef Na’Moks s’est rendu aux Nations Unies à Genève avec une délégation d’Amnistie internationale Canada. Ils y sont allés pour l’Examen périodique universel du Canada ou EPU. Chaque pays passe à travers ce processus tous les quatre ans et demi environ et où le Canada doit rendre compte des mesures qu’il a prises pour améliorer la situation des droits de la personne dans le pays depuis son dernier examen.

Le Canada reçoit ainsi des recommandations des autres États membres de l’ONU. Quelques groupes de la société civile, tels qu’Amnistie internationale, soumettent aussi des rapports avec leurs propres recommandations à l’ONU. Le rapport d’Amnistie est extrêmement personnel pour le chef Na’Moks, car il reproche au gouvernement de criminaliser les défenseurs des terres sur le territoire des Wet’suwet’en.

Chief Na’Moks: Nous n’avons jamais signé de traité ni quelconque forme d’accord stipulant que nous ne sommes pas l’autorité sur le territoire. Nous nous sommes aussi rendus en cour et, le 11 décembre 1997, la Cour suprême du Canada a déclaré exactement la même chose, que nous existons et que nous n’avons jamais cédé ou rendu et qu’il faut nous considérer.

Angela Misri: Amnistie internationale rapporte que depuis 2019, la GRC a arrêté et détenu plus de 80 personnes, incluant des chefs héréditaires, des matriarches et des observateurs légaux, pour avoir protesté contre la construction du gazoduc Coastal GasLink, qui divise le territoire en deux.

Chief Na’Moks: Ils avaient émis une injonction disant que nous n’étions pas autorisés à nous rendre sur notre territoire dans certaines zones. Et si nous les traversions, nous serions inculpés et mis en prison. Au fil des ans, plusieurs d’entre nous et de ceux qui nous appuient ont été inculpés et des restrictions leur ont été imposées parce que, vous savez, ils ont déposé une injonction et ils déclarent: «n’entrez pas ici, peu importe si c’est votre territoire ou non, nous sommes plus importants.» Et ce projet est bien trop important. Et, donc, ils arrêtent nos gens, ils les enlèvent et les enferment. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis allée à l’EPU, en raison des abus des droits de la personne de ces arrestations, de la violence à laquelle notre peuple et nos sympathisants ont dû affronter.

Angela Misri: Le gazoduc GasLink a dit que le projet est entièrement permis par le gouvernement et détient tout l’appui de tous les représentants élus du Conseil de bande touché par ce projet. Mais les chefs héréditaires Wet’suwet’en disent que les Conseils de bande n’exercent aucune autorité au-delà des limites de la réserve parce que leur autorité relève seulement de la Loi sur les Indiens. Selon Amnistie internationale, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a envoyé trois lettres au gouvernement du Canada en leur demandant l’arrêt de la construction des gazoducs Trans Mountain et Coastal GasLink jusqu’à l’obtention d’un consentement libre, préalable et éclairé. Les lettres ont aussi demandé que le gouvernement investigue sur les allégations de surveillance, de détention arbitraire et d’utilisation excessive de force de la GRC et des firmes de sécurité privée à l’endroit des défenseurs. Mais le Canada n’a toujours pas mis en œuvre leurs recommandations. Cependant, ce n’était pas très surprenant pour Chef Na’Moks d’entendre ce que le Canada avait à dire lors de sa dernière présentation de l’EPU.

Chief Na’Moks: Ils ont un texte à suivre et ils s’y sont tenus pendant très longtemps. Nous savions exactement ce qu’ils s’apprêtaient à dire. On me demandait, avant d’y aller, à quoi je m’attendais. Je disais que j’avais mis la barre de mes attentes vraiment basse et que je n’avais pas espoir que mes attentes soient dépassées. Et j’avais raison. Ils ont parlé de rapports, des femmes assassinées et disparues, des droits des Autochtones, des droits de l’homme, des rapports qu’ils ont rédigés et des recommandations formulées précédemment par les Nations Unies.

Angela Misri: Chef Na’Moks espère que le plus récent EPU serve à conscientiser les autres sur le bilan du Canada en matière de droits de l’homme … en particulier en ce qui concerne le traitement des peuples indigènes.

Chief Na’Moks: Le monde doit savoir que le Canada ne doit pas être mis sur un piédestal en ce qui a trait aux droits de la personne parce que ce n’est pas le cas. Si vous pensez aux pensionnats que ma défunte mère a fréquentés, vous pensez à la rafle des années 1960. Où se trouve l’humanité dans ce pays?

Angela Misri: Merci beaucoup au Chef Na’Moks de nous avoir partagé ses expériences et ses points de vue avec nous. J’aimerais maintenant accueillir la Dre Jennifer Tunnicliffe. Historienne des droits de la personne, elle s’intéresse particulièrement à la manière dont l’activisme national et transnational façonne les cultures et les approches législatives en matière de droits et de libertés. Elle est aussi professeure assistante au Toronto Metropolitan University. Bienvenue, Dre Tunnicliffe.

Dre Jennifer Tunnicliffe: Merci de me recevoir.

Angela Misri: Bien, c’est extraordinaire de vous avoir parmi nous. Donc, j’aimerais vous questionner à propos de la contribution du Canada dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais, tout d’abord, pouvez-vous nous en dire un peu sur ce que vous pensez du traitement subi par les défenseurs des terres de la nation Wet’suwet’en, selon Chef Na’Moks?

Dre Jennifer Tunnicliffe: Certainement. Je crois qu’il porte un message très important et j’ai beaucoup de respect pour ses paroles ainsi que pour les actions qu’il porte lorsqu’il s’agit d’interpeller le gouvernement canadien sur son histoire en ce qui concerne, la promotion et la protection des droits de la personne. Je crois que le message qu’il transmet est important pour nous, en tant que Canadiens, puisque nous devons savoir que l’histoire des droits de la personne au Canada, au sein de notre pays et à l’international, n’est pas ce que nous pensons et qu’elle se répercute aujourd’hui sur le traitement des populations autochtones, par exemple.

Je crois aussi que son message démontre un autre aspect important de notre histoire et il s’agit de l’histoire impressionnante de groupes autochtones qui se sont adressés à des organisations internationales pour inviter la communauté internationale à réfléchir aux questions de souveraineté lorsqu’il s’agit des populations autochtones, ainsi qu’au Canada et à sa législation en ce sens.

Pour ces raisons, je crois que son message est très important.

Angela Misri: Et je comprends que le Canada est aussi un signataire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Donc, quel est le lien entre cette déclaration et la Déclaration des droits de l’homme?

Dre Jennifer Tunnicliffe: Oui, c’est compliqué. La Déclaration des droits de l’Homme de l’ONU a été le premier outil de l’ONU en ce qui a trait aux droits de la personne.

Elle a été adoptée en 1948, tout juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale et elle constitue, avec les deux pactes internationaux sur les droits de l’homme, ce que l’on appelle notre Charte internationale des droits de l’homme. Ils constituent la base de ce que nous considérons la loi internationale des droits de la personne. Plusieurs autres déclarations, pactes et conventions ont émergé à partir de cette base, plus spécifiquement sur des contextes ou des groupes spécifiques, soit les femmes ou les enfants, les réfugiés ou des régions géographiques spécifiques telles que l’Afrique.

Et donc, vers la fin des années 1970 et 1980, des pressions ont été exercées afin de pousser à l’élaboration d’un instrument reflétant les droits des Autochtones. Donc, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones affirme que les populations autochtones, les premiers peuples, jouissent des droits de la personne que nous possédons tous par le fait que nous sommes humains, mais d’autres droits inhérents se retrouvent dans leur histoire.

Donc, ceux-ci sont des droits issus de traités et d’autres droits traditionnels et des questions sur l’autodétermination et la souveraineté. Il s’agit donc de s’appuyer sur des documents fondamentaux tels que la DUDH (Déclaration universelle des droits de l’homme), mais en tenant compte des besoins spécifiques des peuples autochtones.

Angela Misri: Afin que je puisse bien comprendre comment une chose a mené à l’autre, donc fondamentalement, vous voulez dire que cela s’applique à nous? Est-ce qu’elle s’applique au Canada? La DUDH?

Dre Jennifer Tunnicliffe: C’est compliqué, encore une fois, par le fait que l’ONU possède différents types d’instruments. Donc, une déclaration est un document avec une aspiration. Les pays voteront pour soutenir le document, s’y opposer ou s’y abstenir. Ils deviendront alors ce que l’on pourrait appeler des signataires du document, mais il ne s’agit pas de documents de droit contraignant. Il n’est donc pas nécessaire de les ramener dans leur pays d’origine pour les ratifier. Tout cela pour dire que lorsqu’il s’agit de choses comme la Déclaration, il s’agit d’un document d’aspiration pour le monde, et le fait qu’un pays l’ait soutenu ou non est quelque chose qui est noté et dont on parle et qui est utilisé pour essayer d’influencer ce pays à essayer de respecter les principes ou les articles de cette déclaration.

Mais nous n’en sommes pas signataires, en ce sens, que nous ne sommes pas légalement liés juridiquement à ce dernier. Vous savez, c’est un peu l’esprit des Nations unies et du droit international.

Angela Misri: Retournons aux débuts de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je crois comprendre qu’un avocat canadien, John Humphrey, a joué un rôle déterminant dans la rédaction de cette déclaration. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’implication du Canada?

Dre Jennifer Tunnicliffe: Certainement. Donc, John Peters Humphrey était un avocat, un chercheur juridique ainsi qu’un professeur à l’université McGill qui, après la Seconde Guerre mondiale, a été invité à joindre les Nations Unies pour travailler chez eux comme le premier directeur des droits humains, ce qu’il a fait.

Et dans ce rôle, cela lui a permis de siéger à la Commission pour les droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies qui a été créée en 1946 qui a été mandatée pour faire l’ébauche des premiers instruments des droits de la personne des Nations unies.

Et donc, John Peters Humphrey a aidé à participer à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En fait, aux archives de l’université McGill à Montréal, vous trouverez le tout premier document de la Déclaration universelle des droits de l’homme avec l’écriture originale de John Humphrey. Il a travaillé avec les autres membres de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, des membres tels que Eleanor Roosevelt, Charles Malik ou bien René Cassin qui ont chacun représenté des pays siégeant dans la commission. Ils étaient présents pour décider ce qui constituerait le document afin qu’ils puissent le présenter plus largement aux membres des Nations Unies. John Humphrey travaillait pour les Nations unies, donc il ne représentait pas le Canada. En fait, il n’était pas au courant de la politique du gouvernement canadien à l’égard de la DUDH et n’en faisait même pas partie, ce qui est très important. C’est important parce qu’il était plutôt à l’extrême, il supportait beaucoup l’idée des droits de l’homme internationaux.

Et il a travaillé aux Nations Unies pendant 20 ans, bien après la DUDH, travaillant dans le domaine des droits de la personne et il était un défenseur à l’échelle internationale et au pays des documents de l’ONU. Mais l’historique du gouvernement canadien en lien avec ce document est en fait très différent. Le gouvernement canadien ne soutenait pas vraiment les droits de l’homme internationaux.

Encore, le rôle qu’a joué John Humphrey dans la rédaction de la DUDH est maintenant utilisé comme preuve du rôle important qu’a joué le Canada dans le développement de ce document, ce qui ne constitue pas un portrait fidèle de l’implication du Canada au cours de son histoire.

Angela Misri: Parce que John Humphrey était un Canadien à qui l’ONU a demandé de travailler sur ce document.

Dre Jennifer Tunnicliffe: Exactement. Il travaillait pour l’ONU et, dans son journal, qui se retrouve aussi dans les archives de l’université McGill et qui a aussi été publié. Dans son journal, vous pouvez voir sa réaction à la réponse du gouvernement canadien et aux autres gouvernements et de leur vote sur la DUDH. Et vous pouvez voir qu’il a travaillé, c’est en sa qualité d’ardent défenseur et de personne travaillant pour les Nations Unies et non en tant que représentant du gouvernement canadien.

Angela: Nous avons trouvé cet extrait de John Peters Humphrey où il en discute avec Peter Gzowski à CBC Radio en 1992. Écoutons-les:

Extrait d’archive – CBC:
Peter Gzowski: Quelle était la position du Canada sur la Déclaration? Nous nous sommes abstenus sur ce vote.

John Peters Humphrey: Cela aurait pu être difficilement plus négatif. Je sais que lorsque je le dis, cela ne me rend pas très populaire à Ottawa.

Angela Misri: Retournons aux fondements, pourquoi le gouvernement canadien ne la supportait-il pas au départ?

Dre Jennifer Tunnicliffe: Donc, c’est important de comprendre que l’histoire du Canada, les traditions du Canada proviennent généralement de la tradition britannique, qui tend à appuyer les lois non écrites. Donc, nous n’avons pas un historique au Canada au niveau de la codification des droits et libertés.

Si vous jetez un coup d’œil à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), qui a contribué à la création du Dominion du Canada en 1867, vous ne pourrez y voir une déclaration des droits dans ce document, par exemple. En fait, les droits y sont rarement mentionnés. Si on remonte aux années 1930 et 1940, on constate qu’il y a très peu de lois au Canada qui protégeaient explicitement les personnes contre la discrimination à l’époque.

Donc, le gouvernement canadien était nerveux à propos des lois internationales qui touchaient aux droits de la personne qui auraient pu peut-être entrer en conflit avec la tradition canadienne et, de ce fait même, qui auraient pu montrer que le gouvernement canadien ne pratiquait pas ou ne faisait pas respecter ces droits.

Et donc, vous savez, j’ai recherché à travers les échanges et les communications entre les différents décideurs politiques à Ottawa à cette époque. Et ils étaient vraiment conscients que les politiques d’immigration, les politiques de vote et certaines politiques à propos de la propriété de biens, les droits en immigration. Vous savez, les populations autochtones, que toutes ces politiques iraient à l’encontre de quelques articles qui y étaient proposés. Les droits de la personne feraient l’objet d’un plus vaste chantier dans le cadre de la DUDH.

Et donc pour cette raison, le gouvernement hésitait grandement à y apporter son soutien. Mais la raison officielle pour laquelle le gouvernement disait ne pas appuyer la DUDH était que, en tant qu’état fédéral, parce que certains des articles tombaient sous la juridiction provinciale, qu’ils ne pouvaient s’engager envers ces dernières.

Bien qu’il y ait plusieurs gouvernements fédéraux à l’ONU qui n’avaient pas ces enjeux, c’était la justification officielle donnée par le gouvernement. Néanmoins, si vous jetez un coup d’œil aux documents, vous pouvez voir que les décideurs politiques étaient très nerveux à propos de cette vaste définition des droits de l’homme universels et la manière dont cela pouvait se répercuter sur le Canada.

Et donc, ils ont décidé de s’abstenir en 1948. Ils ne se sont pas opposés catégoriquement à la DUDH, mais ils se sont abstenus de la soutenir. Dans les votes au départ, en date du 6 décembre, il y a un vote dans l’assemblée générale de toutes les nations et le Canada était l’un des rares États à choisir de s’abstenir et de ne pas appuyer la DUDH. Ici, je fais référence à l’Union soviétique et à ses alliés, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud, des pays avec lesquels le Canada ne souhaite pas nécessairement être associé. Et, donc, Lester Pearson, qui dirigeait à l’époque notre département des affaires extérieures, était aux Nations Unies, écrivait rapidement au gouvernement pour lui dire, vous savez, ce n’est pas le genre de compagnie avec laquelle nous souhaitons être associés. Je crois que nous devrions changer de position.

De plus, les gouvernements britanniques et américains appuyaient fortement ces documents et exerçaient beaucoup de pression sur le Canada. Ainsi, le Canada a changé son vote du 6 décembre pour appuyer la DUDH le 10 décembre.

Angela Misri: Cela me rappelle une citation de West Wing, je ne sais pas si vous la regardez, elle dit que nous faisons campagne en poésie et que nous gouvernons en prose. Cela me rappelle un peu les idéaux de l’ONU et de ses principes idéalistes et qu’en prose, les Canadiens essaient de travailler dans les limites qui leur étaient propres parce qu’ils savaient très bien qu’ils ne pourraient répondre aux exigences auxquelles ils se seraient engagés en signant.

Dre Jennifer Tunnicliffe: Oui, absolument. Absolument. Cela prouve que, vous savez, les concepts autour des droits de la personne et notre façon de les articuler sont toujours profondément remis en question. Donc, quand vous lisez à propos de la DUDH et son histoire, vous verrez une déclaration qui dit que la DUDH a été adoptée à l’unanimité par les Nations Unies en 1948.

C’est trompeur puisque, vous savez, plusieurs états ont continué de s’abstenir, même lors du vote final. Ils ne sont pas opposés, mais ils se sont abstenus. Il y avait beaucoup de questions et de préoccupations sur ce document à ce moment. Cela ne montre donc pas vraiment que ces idées étaient encore en suspens.

Angela Misri: Et nous avions toujours des pensionnats à ce moment, n’est-ce pas?

Dre Jennifer Tunnicliffe: Tout à fait.

Angela Misri: Selon vous, quel aura été l’impact de cette déclaration au niveau mondial? Je comprends qu’il y a eu plusieurs textes de loi basés sur cette déclaration. Cela a-t-il eu un effet concret sur les personnes que cette déclaration devait protéger?

Dre Jennifer Tunnicliffe: C’est une excellente question. En fait, très semblable à la question que j’ai posée à mes élèves à la fin de mon cours, où je leur ai demandé, au regard de notre histoire, quelle est la signification de la DUDH aujourd’hui? Leur travail… j’espère qu’ils sont en train de travailler sur leur projet présentement.

Angela Misri: J’espère qu’ils ne sont pas en train d’écouter et d’obtenir des réponses de votre part.

Dre Jennifer Tunnicliffe: C’est une question compliquée parce que lorsque vous regardez de près la Déclaration, si vous lisez les 30 articles et que vous cherchez à comprendre, il est très difficile de mesurer l’ampleur du problème et de savoir qui n’a pas accès à ces droits.

En même temps, je crois que nous devons comprendre le but initial de ce document. C’était le premier document de l’ONU en ce qui concerne les droits de la personne. C’était une déclaration de principe, un document de référence auquel les nations allaient pouvoir se référer. Donc, de ce point de vue, il a servi à développer de nombreux autres documents de protection un peu partout dans le monde depuis 1948.

Donc, aux Nations Unies, je crois que la DUDH de l’ONU a inspiré plus de 70 autres traités et Déclarations des droits de l’homme. À l’échelle nationale, plusieurs nations autour du monde font référence aux principes de la DUDH ou ont construit leurs documents autour de ces principes pour constituer leurs propres constitutions ou leurs lois entourant les droits de la personne.

Par exemple, si vous regardez la Charte canadienne des droits et libertés, qui n’est arrivée qu’en 1982. Si vous lisez ce document et que vous le comparez à la DUDH, vous constaterez plusieurs similarités entre les deux. Vous pourrez identifier les effets qu’a eus ce document sur les autres documents rédigés par les nations qu’il a influencées.

Et je crois que nous devons reconnaître ce qui a changé à propos des droits et libertés depuis 1948. Nous devons reconnaître que plusieurs personnes ont eu accès à davantage de droits et sont maintenant capables de jouir de droits et libertés auxquels ils n’auraient pas eu accès avant. Nous ne sommes peut-être pas capables de tracer le lien direct entre ceci et la DUDH parce que la plupart d’entre nous voient notre propre réalité, que ce soit le Canada au niveau des lois provinciales ou fédérales, ils le voient comme ayant davantage de valeur. Mais en réalité, si la DUDH est très importante, je pense que l’on peut dire qu’elle a eu un impact important. Et je pense aussi que le pouvoir de la DUDH réside surtout dans son message, dans son aspiration et dans ses buts.

Et donc, je crois qu’elle demeure tout aussi importante aujourd’hui. Je veux dire, en regardant autour de nous, lors que nous voyons tous les conflits actuels, nous voyons de quelle façon les droits en eux-mêmes sont utilisés comme armes pour justifier la violation des droits. Plus que jamais, je pense que les documents comme la DUDH sont importants.
Nous pourrions nous servir de ces documents pour réaffirmer notre existence humaine collective, pour réaffirmer cette idée que tous les humains, peu importe leur origine ou leurs caractéristiques, ont accès à ces droits. Si nous en étions capables, cela nous permettrait peut-être d’avancer. Parce que je crois, qu’à un certain moment, ces temps-ci, nous avons perdu un peu l’idée derrière les droits de la personne.

Ils ont été utilisés comme outils dans le passé, ce n’est pas surprenant, mais nous devons demeurer critiques vis-à-vis ces derniers.

Angela Misri: Vous avez écrit le livre intitulé Resisting Rights, Canada and the International Bill of Rights, 1947 – 76. [traduction libre: Résister aux droits, le Canada et la Charte internationale des droits de l’homme] Et je comprends qu’il remet en doute le narratif du Canada comme défenseur historique des droits humains internationaux, comme vous l’avez un peu mentionné.

Mais, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le concept de ce livre? Pourriez-vous nous partager quelques éléments-clés à retenir?

Dre Jennifer Tunnicliffe: Absolument. Avant de travailler comme professeur à l’université, j’étais un professeur à l’école secondaire et j’enseignais sur le Canada et sur son histoire des droits de la personne. Quand je suis retournée aux études supérieures et que j’ai commencé à étudier et à en apprendre plus sur l’opposition du Canada à la DUDH. Et, ensuite, j’ai appris sur son opposition aux autres documents sur les droits de la personne, j’ai pris conscience de ce que j’avais appris et je me suis demandé pourquoi le Canada avait choisi ce narratif si fort, soit qu’il avait agi comme défenseur historique des droits de la personne. Je veux dire, si vous regardez le site actuel du gouvernement, vous pourrez lire que le Canada demeure un acteur-clé dans la protection des droits de la personne, surtout en raison du rôle central qu’il a joué dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Donc, je me suis beaucoup intéressée à la question suivante: quelle relation le Canada entretient-il avec les droits de la personne internationaux et comment son narratif autour de ce sujet s’est-il développé? Ce que j’ai trouvé et j’en ai déjà parlé, c’est que le Canada s’opposait et était très réticent à signer la Déclaration universelle des droits de l’homme et qu’au cours des années 1950 et 1960, il a continué à s’opposer au développement des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme.

Et encore, en 1966, il a décidé d’apporter son appui à ces documents puisqu’il savait qu’avec la croissance des Nations Unies et un large soutien pour les conventions, qu’ils seraient adoptés et que le Canada ne souhaitait pas être vu comme le pays qui s’y oppose. Mais lorsque vous jetez un coup d’œil aux votes finaux pour ces documents, vous constaterez une résistance persistante.

L’axe principal du livre retrace cette histoire et démontre un pan de l’histoire du Canada, une tradition légale au Canada qui n’apportait pas vraiment son appui aux droits humains, une histoire d’un Canada où de nombreux groupes ont été discriminés pour de nombreuses raisons.

Ensuite, je me suis attardée à la manière avec laquelle s’est opérée la transition et mon argument est que si vous vous attardez au changement de position du Canada, vous n’avez qu’à regarder l’influence de la communauté internationale. Mais il faut aussi s’attarder à la croissance de l’activisme autour du sujet des droits de la personne, des individus et des groupes qui, de plus en plus, ont commencé à exercer une véritable pression sur le gouvernement canadien, à partir des années 1940 et entre les années 1960 et 1970.

Et, donc, il y a deux principaux arguments dans ce livre. Le premier est que le Canada n’a pas été un leader dans l’histoire des droits de l’homme internationaux et que le réel mouvement de protection des droits de la personne a été issu de mouvements populaires d’activisme portés par des individus, et particulièrement par ceux qui vivaient de la discrimination et qui n’avaient pas accès à ces droits ou qui étaient opprimés.

Angela Misri: Vous savez, en relatant notre histoire récente, nous croyons que nous sommes tellement en avance et vous n’avez qu’à regarder 20 ans en arrière pour constater que ce n’est point le cas.

Dre Jennifer Tunnicliffe: Absolument et je me souviens lorsque le gouvernement de Stephen Harper était au pouvoir et, en 2007, vous avez fait référence plus tôt à la déclaration de l’ONU sur les Droits des peuples autochtones.

Au départ, le gouvernement canadien s’est opposé à cette déclaration lorsqu’elle s’est rendue aux Nations Unies en 2007. Donc, ce n’était pas simplement de s’abstenir, mais ils se sont opposés avec les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, ce sont les colonies qui avaient un historique de colonisation. Ils se sont opposés et il y a eu beaucoup de pression envers le gouvernement Harper qui a éventuellement décidé d’appuyer le document.

Mais si vous regardez les arguments que le gouvernement Harper a utilisés en 2007, ils sont très similaires à ceux qui ont été utilisés en 1948. Donc, je crois que c’est très utile pour nous de reconnaître, à l’époque, que c’était perçu comme étant très éloigné de la longue histoire du Canada en matière de soutien aux droits de l’homme.

Même les organisations de défenses des droits de la personne comme Amnistie ont parlé de la façon dont le gouvernement n’a pas respecté sa longue histoire en tant que défenseur des droits de la personne. Mais j’ajouterais, en fait, que c’était toute une étape dans l’histoire du Canada et que plusieurs des mêmes arguments ont été utilisés en 1948.

Ils ont été utilisés en 2007. Et même encore aujourd’hui, quand on regarde les rapports périodiques des Nations Unies sur les pays, lorsqu’ils analysent les nombreuses politiques que nous avons, en particulier celles qui touchent les populations autochtones au Canada et qui ne rencontrent pas les standards mondiaux.

L’argument que le Canada est une nation fédérale et qu’il y a l’enjeu des juridictions fédérale et provinciale et que, de ce fait, il est plus difficile de concilier ces documents. Je veux dire, ce sont les mêmes arguments. Donc, je pense que l’histoire nous démontre vraiment que cet argument perdure depuis longtemps quitte à devenir une excuse utile au gouvernement pour justifier sa résistance à ces documents.

Angela Misri: Merci beaucoup pour votre temps Dre Tunnicliffe.

Dre Jennifer Tunnicliffe: Oh, cela me fait plaisir. Merci de m’avoir invitée.

Angela Misri: Merci d’avoir écouté Voyages dans l’histoire canadienne. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et créé par The Walrus Lab. Les archives sonores sont une gracieuseté des licences audios de CBC. Comme pour tous nos épisodes, les transcriptions seront disponibles en anglais et en français. Pour lire les transcriptions, veuillez consulter le site thewalrus.ca/canadianheritage.

Bande-annonce du prochain épisode sur l’Île-du-Prince-Édouard – Dr Edward MacDonald:
Il y a un mythe, enfin ce n’est pas tout à fait un mythe parce qu’il est en partie vrai. C’est l’idée selon laquelle nous avons conçu notre nation en état d’ébriété. Et c’est totalement faux. Nous avions probablement la gueule de bois quand nous l’avons fait. Mais les Canadiens ont apporté des provisions, du champagne et toutes sortes de nourriture. Et les habitants de l’île ont été de très, très bons hôtes.

Angela Misri: Ceci est un extrait du prochain épisode de Voyages dans l’histoire canadienne. Pour plus de contenus à propos des grands jalons de l’histoire canadienne, visitez thewalrus.ca/CanadianHeritage

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